Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
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Si nous voulons identifier les facteurs externes et les attitudes mentales qui favorisent le bonheur authentique et ceux qui lui sont préjudiciables, nous devons d'abord apprendre à faire la distinction entre le bonheur et certaines conditions qui peuvent lui ressembler mais qui sont en réalité très différentes.
L'erreur la plus courante consiste à confondre le plaisir et le bonheur. Le plaisir est le résultat direct de stimuli sensuels, esthétiques ou intellectuels agréables. L'expérience fugace du plaisir dépend des circonstances, d'un lieu ou d'un moment précis. Elle est instable par nature, et la sensation qu'elle suscite devient vite neutre, voire désagréable. De même, à force d'être répétée, elle peut devenir insipide, voire conduire au dégoût ; savourer un repas délicieux est une source de plaisir authentique, mais nous y sommes indifférents une fois que nous sommes rassasiés et nous nous en dégoûterions si nous continuions à manger.
Le plaisir s'épuise à l'usage, comme une bougie qui se consume. Il est presque toujours lié à une activité et conduit naturellement à l'ennui à force d'être répété. Écouter avec ravissement un prélude de Bach demande une attention qui, pour minimale qu'elle soit, ne peut être maintenue indéfiniment. Au bout d'un certain temps, la fatigue s'installe et la musique perd de son charme. Si nous devions l'écouter pendant des jours, elle deviendrait insupportable.
En outre, le plaisir est une expérience individuelle, le plus souvent centrée sur soi, ce qui explique qu'il puisse facilement sombrer dans l'égoïsme et parfois entrer en conflit avec le bien-être d'autrui. Dans l'intimité sexuelle, il peut certainement y avoir un plaisir mutuel en donnant et en recevant des sensations agréables, mais ce plaisir ne peut transcender le moi et contribuer à un bonheur authentique que si la nature même de la mutualité et de l'altruisme généreux est à la base de ce plaisir. On peut éprouver du plaisir aux dépens de quelqu'un d'autre, mais on ne peut jamais en tirer du bonheur. Le plaisir peut être associé à la cruauté, à la violence, à l'orgueil, à la cupidité et à d'autres états d'esprit incompatibles avec le vrai bonheur. "Le plaisir est le bonheur des fous, tandis que le bonheur est le plaisir des sages", a écrit le romancier et critique français Jules Barbey d'Aurevilly.
Certains aiment même se venger et torturer d'autres êtres humains. Dans le même ordre d'idées, un homme d'affaires peut se réjouir de la ruine d'un concurrent, un voleur se délecter de son butin, un spectateur de corrida exulter devant la mort du taureau. Mais il ne s'agit là que d'états d'exaltation passagers, parfois morbides, qui, comme les moments d'euphorie positive, n'ont rien à voir avec le bonheur.
La quête fervente et presque mécanique des plaisirs sensuels est un autre exemple du fait que la gratification va de pair avec l'obsession et, en fin de compte, le désenchantement. Le plus souvent, le plaisir ne tient pas ses promesses.
Contrairement au plaisir, l'épanouissement authentique peut être influencé par les circonstances, mais il n'en dépend pas. Il ne se transforme pas en son contraire, mais perdure et grandit avec l'expérience. Il procure un sentiment d'accomplissement qui, avec le temps, devient une seconde nature.
Le bonheur authentique n'est pas lié à une activité, c'est un état d'être, un équilibre émotionnel profond atteint grâce à une compréhension subtile du fonctionnement de l'esprit. Alors que les plaisirs ordinaires sont produits par le contact avec des objets agréables et prennent fin lorsque ce contact est rompu, le sukha - le bien-être durable - est ressenti tant que nous restons en harmonie avec notre nature intérieure. L'un de ses aspects intrinsèques est l'altruisme, qui rayonne de l'intérieur plutôt que de se concentrer sur le soi. Une personne en paix avec elle-même contribuera spontanément à établir la paix au sein de sa famille, de son quartier et, si les circonstances le permettent, de la société dans son ensemble.
En résumé, il n'y a pas de relation directe entre le plaisir et le bonheur. Cette distinction ne signifie pas qu'il ne faut pas rechercher les sensations agréables. Il n'y a aucune raison de se priver de la jouissance d'un paysage magnifique, d'une baignade en mer ou du parfum d'une rose. Les plaisirs ne deviennent des obstacles que lorsqu'ils perturbent l'équilibre de l'esprit et conduisent à une obsession de la satisfaction ou à une aversion pour tout ce qui les contrarie.
Bien qu'intrinsèquement différent du bonheur, le plaisir n'est pas son ennemi. Tout dépend de la manière dont il est vécu. S'il est entaché de saisie et entrave la liberté intérieure, donnant lieu à l'avidité et à la dépendance, il est un obstacle au bonheur. En revanche, s'il est vécu dans l'instant présent, dans un état de paix intérieure et de liberté, le plaisir orne le bonheur sans l'éclipser.
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