Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
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En parlant de drogues, un adolescent parisien m'a dit un jour : "Si tu ne t'effondres pas un peu entre les doses, tu n'apprécies pas autant la différence. J'accepte les moments difficiles pour les moments d'euphorie. Comme je ne peux pas me débarrasser de ma douleur, je préfère l'accepter. Je n'ai aucun intérêt à développer un bonheur intérieur ; c'est trop difficile et cela prend trop de temps. Je préfère le bonheur instantané, même s'il n'est pas réel et même s'il s'affaiblit un peu plus à chaque fois que je le recherche". D'où l'accent mis sur les sensations et les plaisirs momentanés, et le rejet comme utopique de la recherche d'une sérénité profonde et durable. Pourtant, si les intervalles "minables" ou malheureux apportent un peu plus de variété à la vie, ils ne sont jamais recherchés pour eux-mêmes, mais simplement pour le contraste qu'ils offrent, la promesse de changement qu'ils laissent entrevoir.
Pour l'écrivain Dominique Noguez, la misère est plus intéressante que le bonheur parce qu'elle a une "vivacité, une intensité extrêmement séduisante, luciférienne. Elle a l'attrait supplémentaire ... de ne pas être une fin en soi, mais de laisser toujours quelque chose à anticiper (le bonheur, donc)". Quel manège insensé ! Encore un peu de souffrance avant le bonheur ! Comme le fou qui se donne des coups de marteau sur la tête pour se sentir mieux quand il s'arrête. En résumé, le bonheur durable est ennuyeux parce qu'il est toujours le même, alors que la souffrance est plus excitante parce qu'elle est toujours différente. Nous pouvons apprécier ces contrastes pour la variété et la couleur qu'ils donnent à la vie, mais qui veut échanger des moments de joie contre des moments de souffrance ?
En revanche, il semblerait plus ingénieux, voire sage, d'utiliser la souffrance comme un vecteur de transformation qui nous permet de nous ouvrir avec compassion à ceux qui souffrent comme nous, voire plus que nous. C'est en ce sens, et en ce sens seulement, que nous devrions comprendre le philosophe romain Sénèque lorsqu'il dit : "La souffrance peut faire mal, mais elle n'est pas un mal". Elle n'est pas un mal lorsque, incapables de l'éviter, nous en tirons profit pour apprendre et changer, tout en reconnaissant qu'elle n'est jamais une bonne chose en soi.
Au contraire, "le désir de bonheur est essentiel à l'homme. Il est le moteur de tous nos actes. La constante la plus vénérable, la mieux comprise, la plus éclairée et la plus sûre du monde est que non seulement nous voulons être heureux, mais que nous ne voulons que l'être. Notre nature même l'exige", écrivait saint Augustin dans De la vie heureuse. Ce désir inspire chacun de nos actes, chacune de nos paroles, chacune de nos pensées, si naturellement que nous en sommes totalement inconscients, comme l'oxygène que nous respirons toute notre vie sans y penser.
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