Le monde d'aujourd'hui n'est-il pas trop mauvais pour être heureux ?

La négation de la possibilité du bonheur semble avoir été influencée par l'idée que le monde et l'humanité sont fondamentalement mauvais. Cette croyance découle en grande partie de la notion de péché originel, que Freud, selon le psychologue Martin Seligman, "a entraînée... dans la psychologie du XXe siècle, définissant toute la civilisation (y compris la morale moderne, la science, la religion et le progrès technologique) comme une simple défense élaborée contre les conflits fondamentaux liés à la sexualité infantile et à l'agression". Ce type d'interprétation a conduit un grand nombre d'intellectuels contemporains à conclure de manière absurde que tout acte de générosité ou de gentillesse provient d'une impulsion négative. Seligman cite Doris Kearns Goodwin, la biographe de Franklin et Eleanor Roosevelt, selon laquelle la première dame a consacré une grande partie de sa vie à aider les personnes de couleur parce qu'elle compensait le narcissisme de sa mère et l'alcoolisme de son père. Selon Seligman, Goodwin n'envisage même pas la possibilité qu'Eleanor Roosevelt ait agi par pure bonté ! Pour Seligman et ses collègues de la psychologie positive, "il n'y a pas l'ombre d'une preuve que la force et la vertu proviennent d'une motivation négative".

Nous savons également que notre bombardement constant de mauvaises nouvelles par les médias et la présentation de la violence comme solution ultime à tout conflit encouragent ce que les sociologues appellent le "syndrome du monde méchant". J'en ai eu une illustration simple lors de l'édition 1999 de Visa pour l'Image, un festival international de photo-journalisme qui s'est tenu à Perpignan, en France, et auquel j'ai participé en tant qu'exposant. Sur les trente-six expositions présentées, seules deux étaient consacrées à des sujets qui donnaient une image constructive de la nature humaine. Les trente-quatre autres portaient sur la guerre, les crimes de la mafia à Palerme, les fumeries de drogue à New York et d'autres aspects négatifs du monde.

Le "syndrome du mauvais monde" remet en cause la possibilité même d'actualiser le bonheur. La bataille semble perdue d'avance. La croyance que la nature humaine est essentiellement corrompue entache notre vision de la vie de pessimisme et nous fait remettre en question le fondement même de la recherche du bonheur, c'est-à-dire le potentiel de perfection de chaque être humain. Essayer de purifier quelque chose qui est fondamentalement mauvais serait aussi vain que d'essayer de blanchir un morceau de charbon.

A l'inverse, le développement de notre potentiel humain profond est comme le polissage d'une pépite d'or pour en faire ressortir l'éclat. Une fois que nous sommes arrivés à cette conclusion, notre objectif est de déterminer avec lucidité les causes du malheur et d'y remédier. Puisque le vrai bonheur ne se limite pas à un soulagement momentané des aléas de la vie, il exige que nous éliminions les causes majeures du malheur, qui, comme nous l'avons vu, sont l'ignorance et les toxines mentales. Si le bonheur est bien une manière d'être, un état de conscience et de liberté intérieure, rien ne nous empêche de l'atteindre.

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