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Matthieu Ricard

Matthieu Ricard est une personnalité connue pour sa carrière à multiples facettes en tant que moine bouddhiste, auteur, photographe et humanitaire.

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Comprendre la nature de la souffrance dans le monde

Les êtres humains souffrent, à chaque instant et partout dans le monde. Certains meurent alors qu'ils viennent de naître, d'autres alors qu'ils viennent d'accoucher. Chaque seconde, des personnes sont assassinées, torturées, battues, mutilées, séparées de leurs proches. D'autres sont abandonnées, trahies, expulsées, rejetées. Certains sont tués par haine, cupidité, ignorance, ambition, orgueil ou envie. Des mères perdent leurs enfants, des enfants perdent leurs parents. Les malades passent en cortège interminable dans les hôpitaux. Certains souffrent sans espoir d'être soignés, d'autres sont soignés sans espoir de guérison. Les mourants endurent leur douleur et les survivants leur deuil. Certains meurent de faim, de froid, d'épuisement ; d'autres sont carbonisés par le feu, écrasés par les rochers ou emportés par les eaux.

Ce n'est pas seulement vrai pour les êtres humains. Les animaux s'entre-dévorent dans les forêts, les savanes, les océans et les cieux. À chaque instant, des dizaines de milliers d'entre eux sont tués par l'homme, déchiquetés et mis en conserve. D'autres subissent des tourments sans fin de la part de leurs maîtres, portant de lourds fardeaux, enchaînés toute leur vie ; d'autres encore sont chassés, pêchés, coincés entre des dents d'acier, étranglés dans des collets, étouffés sous des filets, torturés pour leur chair, leur musc, leur ivoire, leurs os, leur fourrure, leur peau, jetés dans l'eau bouillante ou écorchés vifs.

Il ne s'agit pas de simples mots, mais d'une réalité qui fait partie intégrante de notre vie quotidienne : la mort, le caractère éphémère de toute chose et la souffrance. Même si nous nous sentons accablés par tout cela, impuissants devant tant de douleur, s'en détourner n'est que de l'indifférence ou de la lâcheté. Nous devons nous en préoccuper intimement et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour soulager la souffrance.

Elles correspondent à trois modes de souffrance : la souffrance visible, la souffrance cachée et la souffrance invisible. La souffrance visible se manifeste partout. La souffrance cachée se dissimule sous l'apparence du plaisir, de l'insouciance, de l'amusement. Un gourmet mange un plat raffiné et, quelques instants plus tard, il est pris de spasmes dus à une intoxication alimentaire. Une famille est joyeusement réunie pour un pique-nique à la campagne lorsqu'un enfant est soudainement mordu par un serpent. Des fêtards dansent joyeusement à la foire du comté lorsque la tente prend soudainement feu. Ce type de souffrance peut potentiellement survenir à tout moment de la vie, mais elle reste cachée à ceux qui se laissent prendre par l'illusion des apparences et s'accrochent à la croyance que les gens et les choses durent, à l'abri du changement qui affecte tout.

Il y a aussi la souffrance qui sous-tend les activités les plus ordinaires. Elle n'est pas facile à identifier ni à localiser comme un mal de dents. Elle n'envoie aucun signal et ne nous empêche pas de fonctionner dans le monde, puisqu'elle fait au contraire partie intégrante de la routine quotidienne. Quoi de plus anodin qu'un œuf à la coque ? Les poules élevées à la ferme ne sont peut-être pas si mal loties, mais jetons un bref coup d'œil au monde de l'élevage en batterie. Les poussins mâles sont séparés des femelles à la naissance et envoyés directement au broyeur. Les poules sont nourries jour et nuit sous un éclairage artificiel pour les faire grandir plus vite et pondre plus d'œufs. La surpopulation les rend agressives et elles s'arrachent continuellement les plumes les unes des autres. Rien de tout cela n'apparaît dans l'œuf de votre petit-déjeuner.

La souffrance invisible est la plus difficile à distinguer car elle provient de l'aveuglement de notre propre esprit, où elle demeure tant que nous sommes sous l'emprise de l'ignorance et de l'égoïsme. Notre confusion, née d'un manque de jugement et de sagesse, nous rend aveugles à ce que nous devons faire et éviter de faire pour que nos pensées, nos paroles et nos actions engendrent le bonheur et non la souffrance. Cette confusion et les tendances qui y sont associées nous poussent à reproduire encore et encore le comportement qui est à l'origine de notre douleur. Si nous voulons contrer cette erreur de jugement néfaste, nous devons nous réveiller du rêve de l'ignorance et apprendre à identifier les façons très subtiles dont le bonheur et la souffrance sont générés.

Sommes-nous capables d'identifier l'attachement à l'ego comme la cause de cette souffrance ? En général, non. C'est pourquoi nous appelons ce troisième type de souffrance invisible. L'égoïsme, ou plutôt le sentiment d'être le centre du monde - d'où le terme "égocentrisme" - est à l'origine de la plupart de nos pensées perturbatrices. Du désir obsessionnel à la haine, en passant par la jalousie, il attire la douleur comme un aimant attire la limaille de fer.

Il semble donc qu'il n'y ait aucun moyen d'échapper à la souffrance qui prévaut partout. Les prophètes ont succédé aux sages et les saints aux puissants, et les fleuves de la souffrance continuent de couler. Mère Teresa a travaillé pendant cinquante ans pour les mourants de Calcutta, mais si les hospices qu'elle a fondés disparaissaient, ces patients se retrouveraient dans la rue comme s'ils n'avaient jamais existé. Dans les quartiers adjacents, ils meurent encore sur les trottoirs. Nous mesurons notre impuissance à l'omniprésence, à l'ampleur et à la perpétuité de la souffrance. Les textes bouddhistes disent que dans le cycle de la mort et de la renaissance, aucun lieu, pas même celui de la taille d'une pointe d'aiguille, n'est exempt de souffrance.

Pouvons-nous laisser une telle vision nous conduire au désespoir, au découragement ou, pire encore, à l'indifférence ? Incapables d'en supporter l'intensité, devons-nous en être détruits ?

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