Image de Matthieu Ricard

Matthieu Ricard

Matthieu Ricard est une personnalité connue pour sa carrière à multiples facettes en tant que moine bouddhiste, auteur, photographe et humanitaire.

Source

Comment ne pas se sentir brisé face à la mort d'un être cher ?

Comment, me direz-vous, ne pas être brisé lorsque mon enfant est malade et que je sais qu'il va mourir ? Comment ne pas être déchiré à la vue de milliers de victimes civiles de la guerre qui sont déportées ou mutilées ? Dois-je cesser de ressentir ? Qu'est-ce qui pourrait me faire accepter une telle chose ? Qui n'en serait pas affecté, y compris le plus serein des sages ? La différence entre le sage et le commun des mortels, c'est que le premier peut éprouver un amour inconditionnel pour ceux qui souffrent et faire tout ce qui est en son pouvoir pour atténuer leur douleur sans se laisser ébranler dans sa vision lucide de l'existence. L'essentiel est d'être disponible pour les autres sans céder au désespoir lorsque les épisodes naturels de la vie et de la mort suivent leur cours.

Depuis quelques années, j'ai un ami, un sikh d'une soixantaine d'années à la fine barbe blanche, qui travaille à l'aéroport de Delhi. À chacun de mes passages, nous prenons une tasse de thé ensemble et discutons philosophie et spiritualité, reprenant la conversation là où nous l'avions laissée quelques mois plus tôt. Un jour, il m'a dit : "Mon père est mort il y a quelques semaines : "Mon père est mort il y a quelques semaines. Je suis dévasté parce que sa mort me semble tellement injuste. Je ne peux pas la comprendre et je ne peux pas l'accepter". Pourtant, le monde ne peut être qualifié d'injuste, il ne fait que refléter les lois de cause à effet et l'impermanence - l'instabilité de toute chose - est un phénomène naturel.

Aussi gentiment que possible, je lui ai raconté l'histoire de cette femme qui, accablée par la mort de son fils, est venue voir le Bouddha et l'a supplié de ramener l'enfant à la vie. Le Bouddha lui répondit que pour ce faire, il avait besoin d'une poignée de terre provenant d'une maison qui n'avait jamais connu de mort. Après avoir visité toutes les maisons du village et constaté qu'aucune n'avait échappé au deuil, la femme retourna voir le Bouddha, qui la réconforta par des paroles d'amour et de sagesse.

Je lui ai également raconté l'histoire de Dza Mura Tulku, un maître spirituel qui vivait au début du vingtième siècle au Tibet oriental. Il avait une famille et, tout au long de sa vie, il a éprouvé une profonde affection pour sa femme, qui lui rendait la pareille. Il ne faisait rien sans elle et disait toujours que s'il lui arrivait quelque chose, il ne pourrait pas lui survivre longtemps. Et voilà qu'elle meurt subitement. Les amis et les disciples du maître se précipitent à ses côtés. Se rappelant ce qu'ils lui avaient si souvent entendu dire, aucun n'osa lui annoncer la nouvelle. Finalement, avec le plus de tact possible, un disciple annonça au maître que sa femme était morte.

La réaction tragique qu'ils craignaient ne s'est pas produite. Le maître les a regardés et leur a dit : "Pourquoi avez-vous l'air si contrarié ? Combien de fois vous ai-je dit que les phénomènes et les êtres sont impermanents ? Même le Bouddha a dû quitter le monde". Quelle que soit la tendresse qu'il avait éprouvée pour sa femme, et malgré la grande tristesse qu'il ressentait sûrement, se laisser consumer par le chagrin n'aurait rien ajouté à l'amour qu'il lui portait. Il était plus important pour lui de prier sereinement pour la défunte et de lui faire l'offrande de cette sérénité.

Rester douloureusement obsédé par une situation ou le souvenir d'un être cher disparu, au point d'être paralysé par le chagrin pendant des mois ou des années, témoigne non pas d'une affection, mais d'un attachement qui ne fait de bien ni aux autres ni à soi-même. Si nous apprenons à reconnaître que la mort fait partie de la vie, la détresse cédera peu à peu la place à la compréhension et à la paix. "Ne croyez pas me rendre un grand hommage en faisant de ma mort le grand événement de votre vie. Le meilleur hommage que tu puisses me rendre en tant que mère, c'est de continuer à vivre une vie bonne et épanouie". Ces mots ont été prononcés par une mère à son fils quelques instants seulement avant sa mort.

La manière dont nous vivons ces vagues de souffrance dépend donc beaucoup de notre attitude. Il est donc toujours préférable de se familiariser et de se préparer aux souffrances que nous risquons de rencontrer, dont certaines sont inévitables, comme la maladie, la vieillesse et la mort, plutôt que d'être pris au dépourvu et de sombrer dans l'angoisse. Une douleur physique ou morale peut être intense sans pour autant détruire notre vision positive de la vie. Une fois le bien-être intérieur acquis, il est plus facile de conserver sa force d'âme ou de la retrouver rapidement, même lorsque l'on est confronté extérieurement à des circonstances difficiles.

Cette tranquillité d'esprit vient-elle simplement parce que nous le souhaitons ? C'est loin d'être le cas. Nous ne gagnons pas notre vie simplement en le souhaitant. De même, la paix est un trésor de l'esprit qui ne s'acquiert pas sans effort. Si nous nous laissons submerger par nos problèmes personnels, aussi tragiques soient-ils, nous ne faisons qu'accroître nos difficultés et devenir un fardeau pour ceux qui nous entourent. Si notre esprit prend l'habitude de s'attarder uniquement sur la douleur que lui infligent les événements ou les personnes, un jour, l'incident le plus anodin lui causera un chagrin infini. L'intensité de ce sentiment augmentant avec la pratique, tout ce qui nous arrive finira par nous affliger et la paix ne trouvera plus de place en nous. Toutes les manifestations prendront un caractère hostile et nous nous révolterons amèrement contre notre sort, au point de douter du sens même de la vie. Il est essentiel d'acquérir un certain bien-être intérieur pour que, sans émousser notre sensibilité, notre amour et notre altruisme, nous puissions nous relier aux profondeurs de notre être.

En savoir plus ici

Facebook
Twitter
LinkedIn

Sur le même sujet...

Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie
Comment puis-je supporter une douleur physique intolérable et invalidante ? - par Mathieu Ricard
Matthieu Ricard
Le bonheur : Un guide pour développer la compétence la plus importante de la vie